mardi 30 avril 2013

TEXTE DE MIMI BARTHELEMY - Sa contribution à la journée du 21 février dernier organisée par l'APAC et H/F sur le thème : "Les femmes dans le conte, les femmes conteuses"



Jouer au féminin un engagement

Mon ancêtre était esclave d’un colon français, son fils général haïtien, son petit fils politicien lettré, le fils de celui-ci était médecin et mon père doyen de la faculté de médecine de Port-au Prince. J’ai été élevé dans l’admiration de ces hommes qui ont lutté pour la reconnaissance de leur humanité. Le rôle des femmes n’était pas mentionné, elles étaient nommées, sans plus. J’ai donc été élevé pour être, comme elles, la fille soumise et aimante de son père, l’épouse qui seconde son mari et la bonne chrétienne. J’ai mis 40 ans pour modifier la donne. J’ai d’abord rompu avec le carcan de la religion, puis j’ai clairement exprimé à mon père, par le biais d’une lettre mémorable, mon désir  de le voir me respecter en tant qu’être autonome et enfin j’ai divorcé de celui dont j’étais et devais être à jamais, la seconde.
Si, à cette époque, je me suis retrouvée  chancelante, la voix abimée, le corps oublié, sourde à mon appartenance féminine, c’est que j’avais aussi subi depuis mon arrivée en France, le poids de l’assimilation. J’étais aliénée. J’avais été amené à me glisser dans le moule ambiant jusqu’à arriver à me couper de mes origines, de ma culture, de mes semblables, pour devenir neutre, française. C’était pour tout le monde plus facile à digérer ma différence, sauf pour moi. J’avais une autre histoire, un autre mélange racial, une autre identité.
Mais grâce à ma quête ardente, semblable à celle de mes ancêtres, j’ai lutté pour conquérir ma place d’être humain dans le monde où je vivais désormais. Je me suis rebellée. Je n’étais pas un oiseau des îles comme on me considérait à mon arrivée dans la France des années 56. Je n’étais pas un clone, je n’étais pas une seconde, j’étais moi avec mes différences et mes ressemblances. Une femme. Si j’ai flirté avec le MLAC, je suis restée à l’écart des mouvements féministes occidentaux, consciente du danger de devenir, à mon tour, une ogresse pour les hommes. Je n’avais aucune envie de me venger des hommes et, en plus, j’étais mère d’un fils que je ne tenais pas à castrer.
C’est le théâtre qui  m’a ouvert la voie vers mon vrai devenir de femme. Après des années de théâtre amateur, j’ai donc commencé par me joindre à une compagnie  qui m’a accueillie chaleureusement. Mais après une tournée en Amérique Latine et dans la Caraïbe, je me suis retirée pour faire « cavalière seule » car mon objectif était différent du leur. Mon engagement de femme était  de faire connaître et respecter la culture, l’histoire et la tradition orale d’Haïti, l’histoire de ma famille et ma propre histoire, par le biais de l’art du conte, du théâtre et du chant.
Et c’est ainsi que j’ai commencé à conter seule et à voix nue. Puis j’ai engagée un musicien.  J’ai crée des spectacles, j’ai écrit, J’ai conté, j’ai joué, j’ai tourné avec ou sans musicien, seule ou dans une compagnie pendant de nombreuses années en France et un peu partout dans le monde.
C’est en 1995 que j’ai créé ma propre compagnie que j’ai dirigé et alimenté par mon travail jusqu’à ce jour : la compagnie Ti Moun Fou. Mots créoles qui signifient « Petit Enfant Fada ». C’est ainsi que l’on me nommait petite fille et c’est certainement  grâce à l’émerveillement de l’enfance et à la folle liberté de mon imaginaire que j’ai pu m’engager à jouer au féminin.

                                                                      
                                                                   Mimi Barthelemy

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