Jouer au féminin un
engagement
Mon ancêtre était esclave d’un colon français, son fils
général haïtien, son petit fils politicien lettré, le fils de celui-ci était
médecin et mon père doyen de la faculté de médecine de Port-au Prince. J’ai été
élevé dans l’admiration de ces hommes qui ont lutté pour la reconnaissance de
leur humanité. Le rôle des femmes n’était pas mentionné, elles étaient nommées,
sans plus. J’ai donc été élevé pour être, comme elles, la fille soumise et
aimante de son père, l’épouse qui seconde son mari et la bonne chrétienne. J’ai
mis 40 ans pour modifier la donne. J’ai d’abord rompu avec le carcan de la
religion, puis j’ai clairement exprimé à mon père, par le biais d’une lettre
mémorable, mon désir de le voir me
respecter en tant qu’être autonome et enfin j’ai divorcé de celui dont j’étais
et devais être à jamais, la seconde.
Si, à cette époque, je me suis retrouvée chancelante, la voix abimée, le corps oublié,
sourde à mon appartenance féminine, c’est que j’avais aussi subi depuis mon
arrivée en France, le poids de l’assimilation. J’étais aliénée. J’avais été
amené à me glisser dans le moule ambiant jusqu’à arriver à me couper de mes
origines, de ma culture, de mes semblables, pour devenir neutre, française.
C’était pour tout le monde plus facile à digérer ma différence, sauf pour moi.
J’avais une autre histoire, un autre mélange racial, une autre identité.
Mais grâce à ma quête ardente, semblable à celle de mes
ancêtres, j’ai lutté pour conquérir ma place d’être humain dans le monde où je
vivais désormais. Je me suis rebellée. Je n’étais pas un oiseau des îles comme
on me considérait à mon arrivée dans la France des années 56. Je n’étais pas un clone, je
n’étais pas une seconde, j’étais moi avec mes différences et mes ressemblances.
Une femme. Si j’ai flirté avec le MLAC, je suis restée à l’écart des mouvements
féministes occidentaux, consciente du danger de devenir, à mon tour, une
ogresse pour les hommes. Je n’avais aucune envie de me venger des hommes et, en
plus, j’étais mère d’un fils que je ne tenais pas à castrer.
C’est le théâtre qui
m’a ouvert la voie vers mon vrai devenir de femme. Après des années de
théâtre amateur, j’ai donc commencé par me joindre à une compagnie qui m’a accueillie chaleureusement. Mais
après une tournée en Amérique Latine et dans la Caraïbe, je me suis
retirée pour faire « cavalière seule » car mon objectif était
différent du leur. Mon engagement de femme était de faire connaître et respecter la culture,
l’histoire et la tradition orale d’Haïti, l’histoire de ma famille et ma propre
histoire, par le biais de l’art du conte, du théâtre et du chant.
Et c’est ainsi que j’ai commencé à conter seule et à voix
nue. Puis j’ai engagée un musicien. J’ai
crée des spectacles, j’ai écrit, J’ai conté, j’ai joué, j’ai tourné avec ou
sans musicien, seule ou dans une compagnie pendant de nombreuses années en
France et un peu partout dans le monde.
C’est en 1995 que j’ai créé ma propre compagnie que j’ai
dirigé et alimenté par mon travail jusqu’à ce jour : la compagnie Ti Moun
Fou. Mots créoles qui signifient « Petit Enfant Fada ». C’est ainsi
que l’on me nommait petite fille et c’est certainement grâce à l’émerveillement de l’enfance et à la
folle liberté de mon imaginaire que j’ai pu m’engager à jouer au féminin.
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